Internet et la culture : la réinvention du quotidien ?
Cette page est le brouillon et le support de discussion pour la présentation faite le 13 Juin au musée du Louvre-Lens, lors de la conférence MuseoHub - Musées Enjeux Numériques.
Diaporama d'appui pendant la présentation
Résumé envoyé aux organisateurs
« Le quotidien s'invente avec mille façons de braconner. » Cette phrase, extraite de L'invention du quotidien (Michel de Certeau), semble décrire les pratiques culturelles des internautes. Quel nouveau rôle pour les institutions culturelles dans ces dialogues de pair à pair qui se nouent sur la toile autour des œuvres d'art ? Que devient « l'accès » à la culture quand les médias qui permettent d'y accéder sont aussi des médias qui autorisent le partage et la réutilisation ? Nous aborderons ces questions en présentant diverses formes de « braconnage culturel » qui ont lieu sur la Toile et qui obligent à dépasser la vieille dichotomie entre « culture pour le peuple » et « culture du peuple ».
Contexte et thèse
L'héritage de l'informatique et de l'Internet
L'héritage de l'informatique
Il y a 3000 ans, les égyptiens inventaient les mathématiques sur le bord du nil comme un ensemble de techniques pour effectuer des mesures utiles à leurs besoins de prévisions. De ces outils ce sont dégagés des universaux et un langage symbolique pour les exprimer, langage qui nous paraît aujourd'hui naturel.
Aujourd'hui, l'informatique est un ensemble d'outils pour exprimer des problèmes de calcul, de représentation et de manipulation de l'information. L'informatique étant définie rigoureusement, il se dégage des universaux et un langage symbolique pour les exprimer. Le legs de l'informatique c'est cela: un langage pour exprimer des problèmes nouveaux, liés à la notion d'information.
Nous sommes au début de cette révolution, et nous devons prendre du recul par rapport aux révolutions dont on nous rabat les oreilles : rien n'a fondamentalement changé depuis 40 ans.
L'héritage de l'Internet
Internet est un réseau de machines permettant, entre autres, d'accéder à des documents hypertextes qui peuvent faire référence les uns aux autres.
L'invention d'Internet a peu à voir avec la révolution de l'informatique : c'est une percée technique, mue par le vieux rêve de mettre en réseau les hommes (via l'email, premier usage de l'Internet) et les informations (via les documents hypertexte.)
L'Internet n'est une révolution qu'en tant qu'il est unique : il n'y a pas deux Internet, mais un seul, que tous les être humains utilisent.
Nous sommes au début des usages de l'internet : prenons du recul et souvenons-nous de ce seul point, Internet est unique.
Culture ?
Définition amorale : toute production symbolique, par et pour les hommes, susceptible de participer de la mémoire collective.
- Un récit oral.
- Un livre.
- Un tableau.
- Un rituel.
- Un site web.
- …
Définition morale : le sous-ensemble des productions culturelles qu'il vaut la peine de mémoriser.
Culture vive vs. culture morte
Socrate mettait en garde contre les livres.
Les livres sont dangereux parce que (1) ils nous font perdre l'habitude d'apprendre par cœur ; (2) il s'en dégage une autorité illusoire et (3) leurs auteurs ne sont plus là pour répondre. Les livres sont de la pensée morte, la vraie philosophie naît dans la pensée vive.
Aujourd'hui, il est admis que la pensée vive a besoin de la pensée morte, pourvu que l'éducation nous apprenne l'esprit critique.
De même, la culture « vive », c'est celle qui fait partie de nous, et que nous serions capables de construire indépendamment des traces culturelles dont nous disposons. Et il est admis que cette culture a besoin de la culture « morte » (celle dont nous gardons les traces), pour s'enrichir.
Pourquoi un ministère de la culture et de la communication ?
- Préserver et faire revivre la culture morte pour aider à construire ensemble la culture de demain
Une troisième ère pour le ministère de la culture ?
- La première ère (1959-1981) : A. Malraux, la culture pour tous, une politique volontariste, centralisatrice, élitiste - non pas au sens de réserver la culture à des élites, mais au sens d'éduquer les masses avec les fleurons de la culture.
- La deuxième ère (1981-2001) : J. Lang, la culture par tous (partout ?), une politique anti-élitiste, une forte décentralisation, un équilibre entre volontarisme local et impulsion donnée par l'État. L'après Lang a continué son œuvre, mais en pensant la fracture culturelle comme une déclinaison de la fracture sociale.
- La troisième ère (2001-20..) : La « révolution numérique » est marquée par l'entrée en scène de deux acteurs : les grandes entreprises du Web, nouveaux prescripteurs culturels ; les internautes, « consom'acteurs ».
(2001 : date de la création de Wikipédia. Naissance effective d'un site permettant à chacun de participer à la présentation des connaissances dans tous les domaines actuels du savoir, et de contribuer à une encyclopédie libre.)
Thèse
Libre, communs et culture
Le « libre » est aussi essentiel à la culture que la culture est essentiel à la liberté (exemple : les mathématiques sont « libres »).
Les « communs » sont aussi essentiels à la culture que la culture est essentiel à la vie en commun (exemple : les langues sont « libres »).
L'activité principale du ministère de la culture doit être de préserver et développer les communs, soit directement, soit indirectement :
- Directement : préserver et valoriser le domaine public et le libre.
- Indirectement : être un levier économique pour la production de communs.
Conséquence : réinventer le rôle de prescripteur public
Un prescripteur : quelqu'un qui indique ce qui vaut la peine d'être vu/lu/entendu/compris/produit au sein des productions culturelles. C'est l'instance qui assume un rôle normatif. Exemple : le Centre National de la Cinématographie, quand il attribue des bourses d'écriture à des scénarios.
Dans cette nouvelle ère, le « Tout culturel » de Lang est intenable (car non-normatif), et l'État est appelé à réinventer son rôle de prescripteur : il ne peut pas se limiter à une prescription rigide, qui se définirait dans la double résistance aux prescripteurs privés et aux « braconnages » plus ou moins légaux des internautes. L'État doit devenir promoteur d'une culture comme bien commun.
Exemples de « braconnage » de la culture
- Wiki Loves Monuments
- Wikipédien en résidence
- GLAM-Wiki
- Wiki takes Broca
- Le_ Musée_ Libre_
- MuseoMix
- […]
Aparté : le « libre » n'est pas une contre-culture
Le libre se définit souvent « contre » : et la culture hacker à laquelle on associe le mouvement du libre est perçue comme une contre-culture. Mais cette contre-culture n'est que la « pop culture » du libre, son apparence auprès du public.
En réalité, le libre ne fait que proposer des outils (juridiques et techniques) pour que les prescripteurs culturels passent d'une logique de la limitation d'accès à une logique de la valorisation de l'accessible.
Les institutions de la culture ne doivent plus être les gardiens d'un trésor culturel, mais les pionniers d'une nouvelle critique culturelle.
Propositions pour entrer dans cette « troisième ère » de la culture
- Acquérir une culture informatique digne de ce nom (« Le bon sens et la chose du monde la mieux partagée etc. »).
- Embaucher des informaticiens qui prennent une part active à la vie culturelle, dans le musée et autour du musée.
- Participer initiatives comme MuseoMix, en monter d'autres.
- Ne plus penser simplement au Web-nouveau-média, mais à l'informatique comme changement en profondeur de notre rapport à l'information.
- Prendre une part active au chantier de la réforme du droit d'auteur, pour repenser les modalités de diffusion numérique du patrimoine culturel.
« Take home message »
- Internet encourage les formes de « braconnage culturel ».
- Ce braconnage n'est pas la forme ultime d'un « tout culturel » qu'il s'agirait aujourd'hui de remettre en cause, mais d'une soif de culture qui devrait inciter l'État à redéfinir son rôle de prescripteur.
- Si la culture est conçue comme un bien commun à développer (et non plus seulement comme un bien public à préserver), les institutions culturelles ont tout intérêt à regarder du côté des actions aujourd'hui menées du côté du « libre ».
- [On ne peut plus parler sans cesse d'Internet et ignorer ce que c'est.]
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